"I Don’t Wanna Be French" : la trend TikTok qui clash la France
- Cyril de Lammerville
- 4 avr.
- 11 min de lecture
Depuis quelques jours, la France se prend une vraie claque sur TikTok. Des vidéos moqueuses affluent de partout surtout des États-Unis, mais aussi d’Europe et surfent sur une tendance baptisée « I don’t wanna be French ». Une vague pas franchement tendre avec notre bon vieux pays, où les clichés sur les Français sont tournés en dérision : bérets, baguettes, fromages... et bien sûr, les incontournables grèves. Le comique de répétition fait mouche, et la trend devient virale. En quelques jours, le hashtag #Idontwannabefrench cumule des millions de vues. Loin de se limiter aux États-Unis, le phénomène s’étend : des Italiens, des Espagnols ou des Belges s’y mettent aussi, chacun y allant de son cliché préféré sur « les Français ». Un phénomène qui peut faire sourire, mais qui illustre aussi la facilité avec laquelle les réseaux sociaux ressuscitent et amplifient des vieux stéréotypes.
Mais attention, les Français ne sont pas restés silencieux. Si certains se sont indignés, la plupart ont répondu avec une arme bien nationale : l’humour. Sur TikTok, des créateurs français contre-attaquent avec de l'autodérision bien dosée, et détournent à leur tour la trend pour en faire un hommage à la gastronomie, à la beauté des paysages ou à l'art de râler... avec élégance.
Si les Américains se lâchent sans surprise, ce sont les piques venant d’autres pays européens comme l’Italie, l’Espagne ou l’Allemagne qui font grincer des dents. À croire que l’Union européenne ne protège pas contre les clashs inter-pays. Mais soyons honnêtes : cette petite mode antifrançaise n’a rien de nouveau. Elle revient régulièrement, surtout en ligne, avec des débats animés sur qui, de la France ou des États-Unis, est le « meilleur pays ».

Mais alors, pourquoi ce retour de flamme maintenant ? Et que cache vraiment cette nouvelle trend TikTok ? Spoiler : une bonne dose d’ironie, un soupçon de rivalité, et une riposte made in France pas piquée des hannetons.
Cette trend vient-elle réellement des États-Unis ?
L’origine exacte de la tendance "I don’t wanna be French" reste floue. Certains l’attribuent aux États-Unis, d’autres à l’Espagne ou à l’Italie. Une chose est sûre : de nombreux comptes européens participent activement à ce phénomène, et il se pourrait même que ce soient des Européens vivant outre-Atlantique qui aient allumé la première étincelle. La vidéo souvent citée dans les medias aurait d’ailleurs été publiée par une Française installée aux États-Unis, ce qui brouille un peu les pistes.
Mais ce n’est pas tout. Selon une influenceuse américaine qui a pris la parole sur Instagram, la plupart des vidéos moqueuses proviendraient en réalité d’Espagnols, de Belges, de Portugais ou d’Italiens, bien plus que d’Américains. Elle affirme que cette polémique est, en réalité, bien moins présente aux États-Unis qu’on ne le pense. Pire encore (ou mieux, selon le point de vue) : la toute première vidéo utilisant Bad Romance pour se moquer de la France ne serait même pas américaine... mais britannique. Une information qui, si elle se confirme, montre à quel point cette tendance est un vrai melting-pot culturel.
Elle tient aussi à rappeler que, malgré ces vidéos, beaucoup d’Américains restent fascinés par la France, sa culture, sa gastronomie et son art de vivre. Pour beaucoup, Paris reste une ville rêvée à visiter, et la France une destination mythique. Bref, s’il est tentant de tout mettre sur le dos des États-Unis, la réalité est bien plus nuancée : cette trend semble davantage refléter une forme de rivalité (parfois bien sentie) entre Européens, qu’un rejet massif venu d’outre-Atlantique.
French bashing: un vieux sport international
Ce n’est pas la première fois que la France se retrouve au centre des moqueries internationales. Ce qu’on appelle le French bashing cette tendance à critiquer la France et les Français, souvent avec une bonne dose de stéréotypes a des racines bien plus profondes que TikTok. Déjà au Moyen Âge, les relations tumultueuses entre la France et l’Angleterre posaient les bases d’une rivalité durable. De la Guerre de Cent Ans aux conflits napoléoniens, en passant par les tensions pendant la Seconde Guerre mondiale ou encore le retrait de la France de l’OTAN en 1966, les occasions de froisser les alliés n’ont pas manqué.
Le French bashing a connu un vrai pic en 2003, quand la France a décidé de s’opposer à l’intervention militaire des États-Unis en Irak. À l’époque, Jacques Chirac refuse d’embarquer dans cette guerre controversée, ce qui déclenche une vague de colère outre-Atlantique. Résultat ? Une avalanche de critiques, de la presse à la pop culture : certains Américains boycottent le vin français, les chaînes de restaurants rebaptisent les « French fries » en « Freedom fries », et la France se retrouve caricaturée comme une nation prétentieuse et lâche. Une séquence qui a marqué les esprits et qui alimente encore, plus de 20 ans après, une certaine méfiance envers l’Hexagone.
Mais ce qui rend le phénomène encore plus unique, c’est que les Français eux-mêmes ne sont pas toujours les derniers à se moquer d’eux-mêmes. L’autodérision fait presque partie du paysage culturel : on râle sur nos grèves, nos administrations, nos transports en commun… parfois avant même que les autres n’en aient le temps. Cette tendance à l’autodénigrement, bien française, peut sembler légère et ironique, mais elle alimente aussi sans le vouloir les stéréotypes internationaux. En critiquant notre propre pays avec humour ou lassitude, on ouvre parfois grand la porte à ceux qui n’attendent qu’une occasion pour enfoncer le clou.
Aujourd’hui, c’est donc sur TikTok que ce bon vieux French bashing refait surface mais avec une nouvelle forme, plus légère en apparence, mais tout aussi piquante. Fini les débats géopolitiques sur l’Irak ou les éditos assassins dans la presse étrangère : place aux vidéos courtes, aux mèmes, et à l’ironie de masse. La trend « I don’t wanna be French », portée par des créateurs américains, espagnoles et reprise un peu partout en Europe, s’inscrit dans cette longue tradition de moqueries, sauf qu’ici, le tout est emballé dans une esthétique pop, avec un soupçon d’humour... et une bande-son signée Lady Gaga.
Une riposte à la française : humour, fierté et second degré
Si TikTok pensait que les Français allaient regarder passer la tendance en silence, c’est mal connaître l’Hexagone. Très vite, les internautes tricolores se sont emparés du phénomène I don’t wanna be French pour le retourner à leur sauce. Résultat : des détournements en cascade, comme I wanna be French (je veux être Français) ou le savoureux We don’t want you to be French (on ne veut pas que tu sois Français). La tendance devient alors un terrain de jeu national pour réaffirmer, avec humour et panache, tout ce qui fait la fierté d’être Français.
Les montages vidéos envahissent les Pour Toi avec une avalanche de souvenirs glorieux : la Coupe du monde 2018, l’arrivée des JO 2024, le Eleven All Stars 2022 ou encore le GP Explorer organisé par Squeezie. Et ce n’est pas tout. Même les institutions s’y mettent. Le compte officiel du Stade de France a partagé des moments marquants dans l’enceinte mythique, accompagné d’un sobre mais efficace I’m proud to be French. Gabriel Attal, lui aussi, a répondu à sa manière avec un montage rassemblant Simone Veil, Lena Situations, des plateaux de fromages et des exploits sportifs. Du grand art.
Et, pendant que certains jouent la carte de la vidéo léchée, d’autres préfèrent répondre cash, face caméra. Les commentaires fusent : « I don’t wanna be French, mais ils ne savent même pas où c’est sur la carte », « Les Américains qui font la tendance, n'oubliez pas qu’on a ligoté votre Kim Kardashian », ou encore « I don’t wanna be French, venant d’un pays qui a cru au Listenbourg* ». Niveau répartie, on est servi. Certains brandissent même leur carte Vitale, symbole suprême du confort social français, ou se filment en pleine séance shopping chez Chanel, Dior ou Saint Laurent. Un rappel stylé et piquant que le French flair, ça ne s’achète pas, mais ça s’assume.
France vs Espagne : une rivalité numérique (et culturelle) bien installée
La viralité de la trend "I Don’t Wanna Be French" en Espagne illustre une rivalité culturelle qui dépasse largement le cadre de TikTok. Ce détournement humoristique de Bad Romance de Lady Gaga s’inscrit dans un jeu d’oppositions déjà bien ancré entre Français et Espagnols, où chaque stéréotype est une occasion de se chambrer : l’arrogance supposée des Français, leur prétendu manque de respect, leur obsession pour la gastronomie et l’art de vivre… Rien n’échappe à la moquerie. Et pour les Espagnols, cette tendance a été l’occasion rêvée de remettre une pièce dans la machine, après des affrontements déjà bien connus comme les Pixel Wars sur Reddit ou les matchs entre streamers.
Lors de r/Place en 2022, les communautés françaises (emmenées par Kameto) et espagnoles (menées par Ibai et Rubius) se sont affrontées à coups de pixels dans une guerre virtuelle où créativité, provocations et patriotisme numérique s'entremêlaient. Rebelote avec l’Eleven All Stars en 2022, remporté par la France (2-0), avant qu’El Partidazo en 2024 ne permette aux Espagnols de prendre leur revanche. À travers ces confrontations, deux styles culturels se dessinent : un humour français plus sarcastique et provocateur, face à une passion espagnole plus directe et parfois moins nuancée.
Mais au fond, ces échanges montrent moins une vraie hostilité qu’une compétition en ligne entre deux nations très connectées, où les influenceurs et les streamers jouent un rôle clé dans la création d’une identité commune sur Internet. Et, dans ce jeu de rivalité, une chose est sûre : les Français répondent souvent avec humour, ironie, fierté… et leur carte Vitale en main.
Un climat politique tendu en toile de fond
Derrière les vidéos légères et les mèmes moqueurs, la trend I don’t wanna be French s’inscrit aussi dans un contexte géopolitique plus tendu entre la France et les États-Unis. Depuis le retour de Donald Trump sur le devant de la scène politique, les relations transatlantiques se sont crispées. Le ton s’est durci, notamment autour de la gestion de la crise ukrainienne. Alors que la France prône une défense européenne plus autonome et un soutien affirmé à l’Ukraine, Trump, lui, multiplie les déclarations controversées : il qualifie le président ukrainien Volodymyr Zelensky de "dictateur", minimise la menace russe et critique vertement le financement européen de l’effort de guerre. Résultat : les tensions s’accumulent.
Paris, de son côté, tente de se positionner comme pilier stratégique, avec Emmanuel Macron en première ligne. Le président français propose une réflexion sur la dissuasion nucléaire européenne, et n’hésite pas à pointer le désengagement américain comme un danger pour la stabilité du continent. De quoi agacer les soutiens de Trump, qui brandit à nouveau la menace de sanctions commerciales contre l’Europe et donc contre la France. Dans ce climat, pas étonnant que l’image des Français aux États-Unis en prenne un coup, jusqu’à se retrouver caricaturée dans les contenus les plus viraux de TikTok.
Ce que je trouve un peu regrettable dans cette tendance, c’est que les moqueries ne viennent pas seulement des Américains ce qui, à la limite, n’est pas nouveau mais également d’autres pays européens. Dans un contexte géopolitique déjà tendu, notamment avec les États-Unis et leur posture ambivalente sur la crise ukrainienne, on aurait bien besoin de solidarité entre pays européens. On partage une histoire, des valeurs, et surtout un certain goût pour la bonne cuisine ! Alors voir nos voisins reprendre ce genre de trend anti-française, c’est un peu triste. Face aux géants mondiaux, l’union devrait faire la force pas les vues TikTok.
Déconstruire les clichés : non, les Français ne sont pas lâches
Parmi les clichés les plus tenaces véhiculés par certains Américains, celui du Français « lâche » revient souvent. On nous accuse de baisser les bras dès que ça chauffe, de hisser le drapeau blanc à la moindre occasion, et de refuser systématiquement de soutenir les États-Unis. Exemple le plus cité : notre opposition à la guerre en Irak en 2003. Mais il faut remettre les pendules à l’heure. Ce refus n’était pas un acte de lâcheté, mais une décision politique fondée sur des doutes légitimes concernant les justifications de cette guerre qui, rappelons-le, s’est révélée basée sur de fausses informations.
Concernant la Seconde Guerre mondiale, non, la France n’a pas été absente du combat. Certes, l’occupation allemande a été une période sombre, mais des milliers de résistants français ont risqué leur vie pour libérer le pays. Et si les Américains ont joué un rôle clé dans la libération, ils ne sont pas les seuls : les Anglais, les Canadiens, les Russes, les soldats d’Afrique du Nord, et bien d’autres nations européennes ont participé à cet effort collectif. Sans oublier que sans la France, les États-Unis n’existeraient peut-être même pas en tant que pays indépendant : c’est la France qui a financé leur guerre d’indépendance contre l’Angleterre, et qui a envoyé des troupes, avec notamment le général Lafayette.
Enfin, n’oublions pas que la France a été parmi les premiers pays à soutenir les États-Unis après les attentats du 11 septembre 2001, dans la lutte contre le terrorisme. Alors oui, on râle souvent, on n’est pas toujours d’accord, mais on est loin d’être absents ou lâches quand il s’agit de défendre des valeurs. Il serait peut-être temps de mettre ces clichés au placard...
Parmi les nouveaux clichés remis au goût du jour grâce à cette trend, on retrouve aussi l’idée que les Français ne se lavent jamais, qu’on passe notre temps à faire grève ou qu’on est tous hautains avec un accent à couper au couteau. Des caricatures évidemment exagérées. Non, la douche n’est pas une option en France (promis, on connaît le savon), les grèves sont un droit démocratique pas une passion nationale et pour ce qui est de l’arrogance, on préfère parler de confiance culturelle (un peu comme quand les Américains se présentent comme les sauveurs du monde dans tous leurs films). Bref, derrière les blagues, il suffit souvent de voyager, de discuter ou même de passer un moment à Paris ou à Marseille pour se rendre compte que la réalité est bien plus nuancée. Et puis soyons honnêtes : un peuple qui crée le fromage, la haute couture, le cinéma d’auteur et les mèmes TikTok en réponse à des attaques… c’est tout sauf fade.
Pour conclure
La trend I don’t wanna be French amuse, agace, fait réagir et c’est tout l’intérêt des réseaux sociaux. Mais derrière les blagues faciles et les montages moqueurs se cache une réalité plus complexe : une longue histoire de tensions, de clichés tenaces, et un climat géopolitique parfois électrique. Alors oui, les vidéos font sourire, mais elles oublient un détail : être Français, ce n’est pas juste porter un béret en mangeant du fromage. C’est aussi vibrer lors de la Coupe du monde 2018 et les JO 2024, organiser des événements massifs comme le GP Explorer ou le Eleven All Stars, et répondre aux critiques avec créativité et panache.
La France n’est pas parfaite (aucun pays ne l’est), mais elle a aussi de quoi être fière : son patrimoine, sa culture, sa résilience, et surtout sa capacité à répondre avec humour et élégance. Alors que cette tendance fasse rire ou grincer des dents, elle aura au moins eu le mérite de réveiller un peu de patriotisme à la française. Ironique, mordant, mais toujours avec style.

Pour en savoir plus :
Les Racines Historiques du French Bashing : De la Rivalité Médiévale aux Conflits Contemporains
Le French bashing trouve ses racines dans les rivalités historiques entre la France et l'Angleterre, remontant à la conquête normande (1066) et aux guerres médiévales comme la Guerre de Cent Ans. Aux XVIIIe et XIXe siècles, l'antipathie s'intensifie avec l'opposition aux idées des Lumières et les guerres napoléoniennes, où la montée des nationalismes exacerbe les sentiments anti-français. Aux États-Unis, les tensions débutent au XVIIIe siècle avec des désaccords idéologiques, aggravés par des événements comme l'Affaire XYZ et la Quasi-guerre (1798). La défaite française en 1940 et le retrait de l'OTAN en 1966 sous De Gaulle ont également terni l'image de la France. Enfin, des épisodes récents comme l'opposition à la guerre en Irak (2003) ont ravivé le phénomène, illustrant une continuité historique dans les critiques envers la France.
Pourquoi la tendance « I don’t wanna be French » cartonne autant sur TikTok ?
Si cette tendance s’est propagée aussi vite, c’est parce qu’elle coche toutes les cases du succès sur TikTok. La plateforme adore ce qui est drôle, facile à détourner et chargé de références culturelles. Et ça tombe bien : I don’t wanna be French mélange les trois. En s’appuyant sur des clichés bien connus, de la gastronomie à la mode, en passant par notre style de vie parfois caricaturé, les vidéos exploitent un comique universel. Le tout sur fond de Bad Romance de Lady Gaga, un choix musical accrocheur qui rend le format immédiatement reconnaissable et simple à reproduire.
Mais, ce n’est pas tout. L’algorithme de TikTok favorise les contenus qui génèrent un maximum d’interactions en un minimum de temps. Résultat : cette satire de la France est devenue une blague interplanétaire, à laquelle chacun peut ajouter sa touche, que ce soit pour troller ou pour répondre fièrement. C'est justement cette facilité d’appropriation qui fait de cette tendance un phénomène viral.
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