Le Carême, nouvelle tendance lifestyle ?

Depuis quelques années, les réseaux sociaux ont vu naître une nouvelle catégorie de contenu : les routines spirituelles. Et si le Ramadan a depuis longtemps trouvé sa place sur Instagram et TikTok, c’est désormais le Carême qui entre en scène. Oui oui, le bon vieux jeûne catholique, autrefois vécu dans la discrétion, devient aujourd’hui un véritable défi 2.0. Stories, hashtags, reels inspirants : bienvenue dans l’ère du #CarêmeChallenge.

Depuis longtemps, le Ramadan cartonne sur les réseaux sociaux : partages d’astuces, réflexions spirituelles, recettes d’Iftar… bref, une vraie vague de contenu engagé et communautaire. Côté catholique, en revanche, cette visibilité numérique est plus récente. Les jeunes croyants commencent eux aussi à utiliser TikTok ou Instagram pour se soutenir, échanger et vivre leur Carême de manière plus connectée. Et ça marche : la dynamique communautaire fonctionne à merveille chez les musulmans, alors pourquoi pas eux ? Reste à savoir si cette montée en puissance est une vraie démarche de foi… ou juste une envie de ne pas rester à l’écart de la tendance. Spoiler : un peu les deux. Décryptons ça ensemble.

Quand la foi devient un format vertical.

Moins de sucreries, d’alcool ou d’écrans : à chacun son "désert" et ses tentations. Le Carême, autrefois perçu comme austère, devient aujourd’hui un rite à la carte, qui séduit de plus en plus les jeunes générations. Ce renouveau se mesure bien au-delà des tutoriels maquillage : selon le père Benoît Pouzin du diocèse de Valence, interrogé par le Huffington Post, « d’habitude, on a une centaine de personnes » pour la messe du mercredi des Cendres, « là, on en avait 500 ». Une affluence inédite portée par une phrase qui revient souvent chez les jeunes : « je veux vivre un vrai Carême ». Ce besoin d’expérience concrète entre en résonance avec la pratique du Ramadan chez leurs camarades, illustrant une volonté commune de discipline, de dépassement de soi et de quête de sens. Sur les réseaux, des influenceurs chrétiens proposent désormais des « routines de Carême » avec hashtags à l’appui : #TikTokChrétien, #Carême2025. On y retrouve des conseils pour mieux vivre cette période au quotidien, mêlant spiritualité et inspirations bien-être. Car oui, la culture numérique des vidéos fitness, des programmes détox ou de la "discipline personnelle" croise aujourd’hui un rite religieux vieux de plus de deux millénaires. Et ça fonctionne. Le jeûne numérique, lui aussi, gagne des adeptes : arrêter de scroller, de médire, ou de zapper sans fin devient un effort spirituel en soi. À condition, bien sûr, de faire une vidéo à Pâques pour raconter son expérience. On est en 2025, après tout.

Sur TikTok, certains chrétiens partagent leur routine de Carême avec autant de sérieux (et parfois de filtres) que des coachs sportifs : abandon du chocolat, prière matinale, digital détox… parfois même les trois d’un coup. Pendant ce temps, côté Ramadan, les influenceurs musulmans continuent d’assurer le show avec des contenus variés mêlant recettes d’Iftar, rappels religieux, et réflexions spirituelles le tout saupoudré d’un soupçon de lifestyle et de ring light.

Résultat : un festival de foi affichée, assumée, décomplexée. Et, franchement, c’est beau à voir. Enfin… jusqu’à ce que certains transforment leur jeûne en stratégie de contenu. Parce que bon, soyons honnêtes : à force de likes et de partages, difficile de ne pas se demander si on jeûne vraiment… ou si on fait juste une pause sucre pour améliorer son engagement.

Le retour du spirituel chez les jeunes

La religion catholique connaît un regain d’intérêt, notamment auprès des jeunes. Le nombre de baptêmes est en hausse, et la période de Pâques retrouve une place centrale dans les pratiques spirituelles. Cette dynamique traduit un véritable besoin de sens, de repères, mais aussi d’appartenance à une communauté. Dans un monde souvent perçu comme individualiste et fragmenté, les jeunes semblent de plus en plus attirés par la spiritualité, les rituels collectifs et les traditions à partager. Ce retour vers le religieux, que l’on pensait en déclin chez les nouvelles générations, s’impose aujourd’hui comme une tendance forte, témoignant de l’importance croissante de l’ancrage communautaire et identitaire.

En 2024, la France a connu une hausse marquée des baptêmes catholiques, signe d’un véritable regain d’intérêt pour la foi chrétienne. Selon la Conférence des évêques de France, 7 135 adultes ont été baptisés à Pâques, soit une augmentation de 31 % par rapport à 2023. La dynamique est encore plus frappante chez les jeunes, avec plus de 5 000 baptêmes enregistrés chez les collégiens et lycéens, représentant une progression spectaculaire de 50 %. Cette tendance s’inscrit dans une croissance continue, les baptêmes d’adultes ayant déjà augmenté de 28 % l’année précédente. Au total, plus de 12 000 adolescents et adultes ont rejoint l’Église catholique en 2024, témoignant d’un fort retour du spirituel, notamment chez les jeunes générations en quête de sens, de repères et d’un sentiment d’appartenance.

Influencers of God : la sainte montée

En 2025, avec le Ramadan et le Carême qui tombent en même temps, c’est presque devenu une compétition amicale. Team dattes VS team poisson du vendredi, mais tous réunis sous la bannière du scroll infini. Et c’est là que débarquent les influenceurs religieux, stars montantes de cette vague spirituelle numérique.

Sur les réseaux sociaux, une nouvelle génération d’influenceurs religieux émerge et trouve un large écho auprès des jeunes. À l’image de Margow.en.christ, qui partage avec sincérité ses réflexions sur la foi, la prière, ou encore les défis spirituels du quotidien, ou d’Alice L’Impératrice, qui mêle esthétique soignée et contenu chrétien pour proposer une approche moderne de la spiritualité, ces créateurs de contenu réenchantent les rites religieux. Du côté du judaïsme, Mendel Narboni s’impose comme une figure montante sur Instagram : il publie régulièrement des vidéos autour des traditions juives, comme l’ouverture du Shabbat, tout en valorisant les événements communautaires et les valeurs culturelles du judaïsme. Ces influenceurs redonnent une visibilité contemporaine aux pratiques religieuses souvent perçues comme éloignées du quotidien, et montrent qu’il est aujourd’hui possible de conjuguer foi, modernité et présence numérique. En réintroduisant les rites dans le langage et les formats de leur génération, ils participent à une redécouverte identitaire forte et à un regain d’intérêt pour les spiritualités.

Chez les catholiques, la tendance à médiatiser le Carême sur les réseaux sociaux a véritablement pris de l’ampleur depuis un an. Sur TikTok, le hashtag #Carême2025 regroupe déjà près de 4 000 publications, signe d’un engouement croissant pour cette période de jeûne et de recueillement. Entre influenceurs lifestyle reconvertis en figures religieuses et véritables acteurs de l’Église — comme Frère Paul-Adrien, très suivi pour ses vidéos évangéliques, ou Sœur Albertine, présente sur les plateformes avec un ton à la fois bienveillant et pédagogique : le Carême devient un sujet viral. Toutefois, ce regain d’intérêt n’est pas sans ambiguïtés. De nombreux contenus circulent, parfois erronés, confondant les spécificités du Carême avec celles du Ramadan. Si certains utilisent ces formats pour transmettre une foi sincère, d'autres semblent davantage motivés par la visibilité que par la spiritualité. Un phénomène révélateur d’une tendance où la religion, tout en retrouvant une place centrale, flirte parfois avec les codes du marketing et de la mise en scène. Cet engouement chez les catholiques s’explique en partie par le fait que le Carême coïncide cette année avec le Ramadan, une période déjà bien ancrée dans les usages des réseaux sociaux, où les contenus spirituels sont nombreux et largement partagés depuis plusieurs années.

Réseaux sociaux : nouveaux eldorados pour la religion catholique ?

La tendance révèle surtout une envie partagée : montrer sa foi, la vivre pleinement, et la partager sans complexe. Fini le temps où religion et discrétion allaient forcément de pair. Aujourd’hui, la foi se raconte en 15 secondes, avec musique de fond et transitions stylées. Si cela permet de créer du lien, de renforcer les communautés, ou même d’évangéliser les algorithmes, pourquoi pas ?

Mais attention à ne pas confondre spiritualité et stratégie marketing. Car à trop vouloir convertir son audience plutôt que son cœur, on risque de confondre Carême et campagne d’influence. Un peu de recul (et moins de selfies avec son chapelet) pourrait parfois aider à recentrer le propos. Si de nombreux religieux y voient une opportunité bienvenue pour la visibilité de la foi catholique, certains s'inquiètent toutefois du risque d'un effet de mode éphémère, où les pratiques spirituelles pourraient être délaissées une fois la tendance passée. Malgré cela, difficile de nier le côté positif de cette dynamique : elle apporte sur les réseaux sociaux une vague de contenus bienveillants, porteurs de sens et loin du tumulte habituel.

« On observe une présence croissante de la question identitaire dans notre société. Certains évoquent même un "catholicisme identitaire", qui s’inscrit dans cette volonté d’affirmer son appartenance, notamment sur les réseaux sociaux. Ce phénomène s’insère dans un retour plus large du religieux, qui adopte aujourd’hui une nouvelle grammaire numérique. En France, et plus particulièrement en Île-de-France, à Versailles ou à Lyon, on constate une orientation du catholicisme vers des formes plus conservatrices, avec une réaffirmation de pratiques traditionnelles. »

Inspirés par l’écho médiatique suscité ces dernières années par le voile, l’abaya et plus largement la mode islamique, de jeunes catholiques ont décidé, eux aussi, de prendre la parole sur TikTok. À la différence près que cette démarche n’a pas provoqué de polémiques, mais a généré des millions de vues et une influence croissante. Sur la plateforme, on trouve désormais une multitude de vidéos où de jeunes chrétiennes, souvent catholiques, s’adressent à leurs "sœurs" pour partager conseils, réflexions ou tutoriels sur le port du "voile chrétien". Le hashtag #VoileChrétien rassemble plus de 1 000 vidéos mêlant démonstrations, débats et esthétiques religieuses, contribuant à remettre au goût du jour un symbole traditionnel à travers une expression résolument contemporaine.

Foi & marketing : quand les marques prêchent par stratégie.

En 2025, la religion devient un levier marketing à part entière, notamment lors de temps forts spirituels comme le Ramadan ou le Carême. En s’alignant sur les valeurs religieuses de leurs consommateurs, les marques établissent une connexion émotionnelle puissante et fidélisent des communautés en quête de sens. Campagnes halal pendant le Ramadan, initiatives chrétiennes comme He Gets Us, ou encore références bibliques discrètes chez Forever 21 : la foi s’invite désormais dans les stratégies commerciales. Certaines entreprises vont jusqu’à intégrer des symboles religieux dans leur image de marque, renforçant ainsi leur positionnement identitaire. Si cette approche peut créer de l’engagement, elle n’est pas sans risques : maladresses ou récupération perçue peuvent rapidement déclencher des polémiques. Utilisée avec discernement et authenticité, la religion peut toutefois devenir un outil puissant pour humaniser le discours de marque, capter l’attention et répondre à un besoin de repères spirituels de plus en plus présent chez les consommateurs

En utilisant des récits, des symboles ou des valeurs religieuses, elles peuvent créer un contenu engageant qui résonne avec les besoins universels tels que l'appartenance, la moralité ou l'espoir. Par exemple, des campagnes alignées sur des périodes religieuses comme le Ramadan ou Noël permettent de capter l'attention tout en respectant les sensibilités culturelles. Collaborer avec des influenceurs religieux ou promouvoir des produits adaptés (comme des options halal ou casher) renforce également la crédibilité et l'engagement. Cependant, ces approches nécessitent une grande prudence pour éviter toute controverse et garantir une communication inclusive et respectueuse.

Conclusion : mode ou vraie foi ?

Le Carême devient-il une tendance lifestyle ? Un peu, oui. Mais tant que cela donne envie à certains de se recentrer, de partager du positif, ou de découvrir leur foi autrement, ce n’est pas si grave. Reste juste à ne pas oublier que, même avec des likes, la spiritualité n’est pas un filtre, c'est un chemin. Et celui-là, même les plus gros influenceurs doivent le parcourir sans triche.