Commission TikTok à l’Assemblée : enquête ou sketch mal écrit ?
- Cyril de Lammerville
- 18 juin
- 7 min de lecture
La scène aurait pu sortir d’un épisode de Caméra Café. Mais non, c’était bien réel. Une commission d’enquête parlementaire française sur TikTok a eu lieu en juin 2025. Son objectif affiché : « évaluer les effets psychologiques de la plateforme sur les mineurs ». Ce qu’on a surtout vu ? Un décalage lunaire entre des députés mal préparés, des influenceurs controversés et un résultat… consternant.

🎭 Un casting plus proche d’une télé-réalité que d’un débat républicain
Première erreur : le choix des invités. Sur les bancs virtuels de la commission, on retrouvait entre autres Alex Hitchens, un coach en séduction aux idées très "cadrées" et parfois controversées, Nasdas, une figure emblématique de Snapchat mais peu active sur TikTok, le couple Tanti, célèbre pour ses apparitions dans des émissions de télé-réalité, et AD Laurent, connu pour ses frasques médiatiques. Une sélection qui, au lieu de refléter la diversité et la richesse des créateurs de contenu français, évoquait davantage le casting d’une émission de divertissement sur W9 qu’un panel sérieux et représentatif.
Résultat : un véritable spectacle chaotique. Invectives à répétition, blagues douteuses qui ont souvent frôlé l’irrespect, micros coupés en pleine audition pour tenter de rétablir un semblant d’ordre, départs théâtraux dignes des plus grandes scènes de télé-réalité, et des élus complètement désemparés face à ce cirque inattendu. Mention spéciale à Alex Hitchens, qui, après une série de désaccords, a quitté la visioconférence avec un très ironique et professionnel « Au revoir, monsieur, bonne journée », laissant derrière lui un silence lourd et des regards incrédules. Une scène qui restera probablement gravée dans les annales de la République, mais pas pour les bonnes raisons.
🎓 Quand l’Assemblée découvre les réseaux… en 2025
L’autre clou du spectacle, c’est le niveau de préparation des parlementaires qui a laissé beaucoup à désirer. Entre des questions parfois trop vagues pour être pertinentes, des incompréhensions techniques manifestes sur des sujets pourtant cruciaux, et une absence flagrante de recul sur les usages numériques actuels, les députés ont donné l’impression de jouer dans un match dont ils ne maîtrisaient ni les règles, ni les enjeux, ni même les acteurs principaux. Cette situation a révélé un manque de formation et de mise à jour sur des problématiques contemporaines pourtant essentielles.
Résultat ? Les influenceurs les plus problématiques, loin d’être mis en difficulté, ont su habilement retourner la situation à leur avantage. Ils se sont posés en martyrs, victimes d’un système qu’ils dénoncent, tout en profitant de la visibilité exceptionnelle offerte par la commission pour renforcer leur notoriété. L’effet boomerang a été parfait : au lieu d’un débat critique et constructif, c’est une tribune publique qui leur a été offerte, amplifiant ainsi leur discours et leur influence, là où l’objectif initial semblait être de les remettre en question.
🛑 Interdire TikTok aux moins de 15 ans : la fausse bonne idée
La suite logique ? Emmanuel Macron a évoqué la possibilité d’interdire TikTok aux moins de 15 ans. Une idée qui semble simple… sur le papier. Cependant, en pratique, on sait tous comment cela se termine : utilisation de VPN, création de comptes usurpés, contournements faciles des restrictions. Ce scénario rappelle celui observé lors de la tentative de régulation des sites pour adultes, où certains acteurs ont préféré retirer leurs services de France plutôt que de mettre en place des systèmes de vérification d’âge jugés trop contraignants ou inefficaces.
Protéger les mineurs est une priorité indiscutable. Toutefois, croire qu’une interdiction légale suffirait à résoudre un problème aussi complexe que l’usage des réseaux sociaux par les adolescents, c’est ignorer une partie essentielle de la réalité : la demande provient souvent du public lui-même, alimentée par des phénomènes de mode, des pressions sociales et un besoin d’appartenance à une communauté numérique. Sans une éducation numérique adaptée et une sensibilisation des jeunes (et de leurs parents) aux risques et aux enjeux de ces plateformes, toute mesure restrictive risque de n’être qu’un pansement sur une plaie bien plus profonde.
L’idée d’interdire TikTok aux moins de 15 ans peut sembler rassurante à première vue. Facile à annoncer, populaire dans l’opinion, elle donne l’illusion d’une réponse ferme face aux dangers des réseaux sociaux. Pourtant, il s’agit d’une fausse bonne idée : séduisante sur le papier, mais inapplicable dans les faits.
Dans un monde où les jeunes maîtrisent les outils numériques parfois mieux que les adultes censés les encadrer, contourner une interdiction n’a rien d’insurmontable : création de faux profils, usage de VPN, partage de comptes... La mesure risque donc d’être inefficace, voire contre-productive. Pire encore, elle détourne l’attention des véritables leviers d’action : l’éducation au numérique, la responsabilisation parentale et une régulation intelligente des plateformes.
Plutôt que d’instaurer des barrières symboliques, il serait plus utile de renforcer les compétences numériques des jeunes, de sensibiliser les familles à l’usage des écrans, et d’imposer aux plateformes des obligations claires en matière de transparence, de modération et de protection des mineurs.
Face aux défis posés par TikTok et les réseaux sociaux en général, la solution ne viendra ni du bannissement, ni du bricolage politique. Elle viendra d’une vision long terme, fondée sur la prévention, l’éducation, et une régulation réellement connectée aux réalités du terrain.
La véritable solution serait d’intégrer une éducation aux réseaux sociaux dès l’école, afin que les enfants apprennent à naviguer en ligne avec recul et discernement. En parallèle, il est essentiel de fournir aux parents des outils simples et efficaces pour mieux accompagner leurs enfants dans leur usage du numérique.
Car Internet, ce n’est pas un monde virtuel sans conséquences : c’est un espace public, comme une rue, avec ses opportunités… mais aussi ses dangers. On ne laisserait pas un enfant sortir seul en pleine ville sans vigilance ; il en va de même en ligne, où ils sont bien trop souvent livrés à eux-mêmes. Éduquer, accompagner, encadrer : voilà des pistes concrètes, durables et bien plus utiles qu’un simple blocage technique.
Réseau Social | Taux d’utilisation chez les mineurs* | Remarques principales |
Snapchat | 88 % des 11–18 ans | Utilisé pour discuter avec les amis proches, contenu éphémère |
84 % des 11–18 ans | Très présent, plus utilisé pour suivre des créateurs, influenceurs, et poster du contenu visuel | |
TikTok | 78 % des 11–18 ans | Très prisé pour les vidéos courtes ; usage quotidien massif |
~25 % des 11–18 ans | En forte perte de vitesse chez les jeunes, considéré comme “réseau des parents” |
*Source : Données croisées issues de l’Arcom (ex-CSA), du baromètre Génération Numérique 2024 et de rapports publiés par le ministère de l’Éducation et le Credoc.
💡 Éduquer plutôt que censurer : une voie durable
La véritable solution ? L’éducation. Si certains contenus toxiques cartonnent, ce n’est pas seulement à cause des créateurs. C’est parce que le public clique, partage, réagit. Les émotions (colère, indignation, fascination) alimentent l’algorithme. Et tant que la demande existe, l’offre suivra.
L’auteur Léo - TechMaker (Youtubeur spécialisé dans les nouvelles technologies et réseaux sociaux) le résume très bien dans sa vidéo : il faut apprendre aux jeunes à consommer des contenus de meilleure qualité, à prendre du recul et à exercer leur esprit critique. Car, oui, TikTok peut aussi être une plateforme éducative, artistique, culturelle. Encore faut-il que ce type de contenu ait une audience.

👪 Et les parents dans tout ça ?
La commission a rapidement écarté un sujet pourtant central : la responsabilité parentale. À l'instar de figures emblématiques comme Steve Jobs ou Bill Gates, qui limitaient l’accès de leurs enfants aux écrans, c’est souvent à la maison que tout commence. Former les enfants à l’usage du numérique, instaurer des règles claires et discuter de leurs pratiques numériques : voilà un levier puissant, peu coûteux… et pourtant largement ignoré. En effet, ces discussions peuvent inclure des sujets tels que la sécurité en ligne, la protection de la vie privée, et les effets de l'usage excessif des écrans sur la santé mentale. De plus, les parents peuvent encourager des activités alternatives hors ligne pour équilibrer le temps passé devant les écrans. Il est essentiel que les parents jouent un rôle actif dans l'éducation numérique de leurs enfants pour les préparer à naviguer dans un monde de plus en plus connecté.
Arguments des Dirigeants de TikTok lors de l’Audition Parlementaire
Lors de l’audition du 12 juin 2025 devant la commission d’enquête parlementaire française sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs, les représentants de TikTok France, dont Marlène Masure (responsable du contenu pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique), Marie Hugon (responsable des enquêtes réglementaires européennes), Nicky Soo (responsable de la sécurité numérique), Brie Pegum (responsable des aspects techniques de la régulation) et Vincent Mogniat-Duclos (responsable France pour TikTok Live), ont défendu la plateforme. Ils ont mis en avant des mesures de sécurité, telles que des restrictions pour les utilisateurs de moins de 16 ans et des outils de contrôle parental, ainsi qu’un système de modération combinant IA et modérateurs humains. Ils ont revendiqué la suppression rapide de contenus problématiques, comme le compte d’Alex Hitchens, et une coopération avec les autorités françaises. Cependant, leurs réponses évasives sur l’algorithme, les failles démontrées dans la modération (contenus incitant aux troubles alimentaires toujours accessibles), et leur manque de préparation face à des questions précises, comme l’usage d’émojis codés, ont été critiqués. Les députés, dont Arthur Delaporte, ont jugé leurs engagements insuffisants, soulignant un décalage entre leur discours et les preuves de contenus problématiques, laissant planer des doutes sur l’efficacité des mesures promises.
⚖️ Conclusion : une commission qui passe à côté de l’essentiel
Plutôt que de s’attaquer aux vrais enjeux : éducation, encadrement, formation numérique des familles, et sensibilisation aux impacts des contenus en ligne. La commission a choisi la voie du spectacle, privilégiant des actions médiatiques à des solutions concrètes et durables. Et comme souvent, ce sont les plus bruyants, ceux qui maîtrisent l'art de la polémique, qui ont capté toute la lumière.
Interdire sans comprendre les usages, censurer sans éduquer sur les risques, interroger sans chercher à connaître les véritables pratiques des jeunes… Cette commission n’aura fait qu’illustrer le fossé grandissant entre des institutions parfois déconnectées et des générations immergées dans le numérique. Un fossé qui, malheureusement, ne cesse de s’élargir.
Et pendant ce temps-là, les vidéos continuent de défiler, en boucle, sur les écrans des adolescents. Avec ou sans commission, les plateformes poursuivent leur course effrénée, alimentant des habitudes de consommation qui échappent à tout contrôle. Alors, à quand une véritable réflexion collective qui place le dialogue, l’éducation et l’accompagnement au cœur de la solution ?
La commission TikTok oscille entre une tentative sérieuse de réguler une plateforme influente et un exercice qui a parfois viré à la caricature. D’un côté, les objectifs de la commission sont légitimes : TikTok, avec ses 15 millions d’utilisateurs mensuels en France, exerce une influence indéniable sur les jeunes, et les préoccupations concernant la santé mentale sont étayées par des recherches. La suppression du compte d’Alex Hitchens et les auditions des cadres de TikTok montrent que l’enquête peut avoir des effets tangibles. De l’autre côté, le choix d’auditionner des influenceurs controversés, souvent peu enclins à la coopération, a transformé l’exercice en un spectacle médiatique, amplifié par les réseaux sociaux et les reprises sur X. L’attitude provocatrice de certains influenceurs et les réponses évasives des représentants de TikTok ont également mis en lumière un fossé culturel et générationnel, rendant les échanges parfois stériles.
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